L’imagerie scientifique contemporaine, dans sa capacité à restituer les informations selon des cartographies et des tracés privés de charme, a considérablement bouché l’horizon des esthétiques du rêve. Ce n’est pas le sentiment qui se dégage en entrant dans l’atelier de Patrick Gresse à Berre les Alpes où la silhouette des montagnes aide à redonner du sens cosmique. Atelier sur la place d’un village peut-être dans l’attente des O.V.N.I. comme en témoigne la piste d’atterrissage proche qui n’est pour d’autre qu’une piste de danse, dans lequel on découvre des formes complexes fixées dans le bronze ou le marbre, des volumes tridimensionnels comme venus d’outre espace.
Par quelles organisations animales ou végétales sont-elles inspirées ? Par quel monde minéral en fusion comme une lave qui décrirait la course d’une ligne qui va dessiner un volume inédit, étrange, apprivoisable néanmoins et presque comme le souvenir de quelque chose de familier ? Il n’est même pas utile de lire les titres que Patrick Gresse propose pour chacune de ses sculptures pour comprendre que leur histoire est d’abord celle tragique et comique du mouvement : impulsion, retournement, étirement. A force de s’agiter, la sphère initiale a perdu son centre de gravité et tente de le retrouver en voyageant autour de son axe. Nostalgie de l’équilibre, cependant que le volume qui voudrait redevenir sphère, autour duquel il faut tourner pour mieux faire connaissance, est la synthèse d’une forme qui a « perdu la boule ».
Mieux que les fastidieuses descriptions des astronomes sur les résultats attribués aux méritants télescopes et sondes courageuses, les séries en volume nées des mains de Patrick Gresse sont une invitation à voyager dans le cosmos, un prétexte à rêver debout en se déplaçant de l’axe habituel et en changeant d’orbite. Un Alexandre Calder ou un Pol Bury nous avaient fait des signes pour un déplacement spatio-temporel. Chez Patrick Gresse, rien ne bouge, c’est nous qui bougeons mais avec le sentiment que tout ceci va se mettre à danser ou à s’animer comme dans les films image par image. La sculpture n’est ici que la restitution d’un instant, un instant qui est aussi une approche du sublime, du satori.
Il y a du zen dans tout ceci, dans la subtilité humoristique de certaines conceptions du développement d’une silhouette dans l’espace, dans l’épure qui ne fait jamais tout à fait disparaître les aléas du mouvement. Une hélice est-elle également un oiseau en vol que nous n’avions pas remarqué ? Un envers serait-il celui d’un inverti ramenant l’endroit pour un androgyne futur ? Cette spire va-t-elle se confondre avec le pavillon d’une oreille amie ?
Patrick Gresse a longtemps traversé la bohème niçoise et connu les ombres des ruelles de la vieille ville avant de repartir vers d’autres pays, d’autres contrées où l’anecdote n’a que peu à faire avec le peyotl. Il garde néanmoins dans son répertoire à lui les blagues pour collégiens, les images de quelques disparus maudits, les parfums des enflammées d’un soir, les sonorités inouïes et le goût de la pâte mal cuite un jour de famine. Après des années de vagabondage entre l’ébénisterie et la psychiatrie, il était urgent pour lui d’être dans le travail patient du moulage et dans celui de la fonderie, d’apprendre peu à peu ce qui est utile pour affirmer son oeuvre. Suppression de tout pittoresque du récit, comme de toute surcharge accidentelle dans la matière. Non un adieu à l’expression psychédélique mais au contraire en retrouver les racines chez les dieux du mouvement.
On ne retrouvera peut-être plus la sphère originelle, mais en approchant chacune de ces formes tridimensionnelles on se dit qu’il n’y a plus de temps pour s’ennuyer : chaque déploiement, chaque repli, ouvrent sur une conversation avec une structure nodale, avec la bande de Moëbius ou avec un lasso dans la pampa avant le départ en fusée.
Cette liberté de saisir un moment privilégié dans la genèse d’une sculpture est un héritage du Surréalisme. Si l’idée a passé la nuit, on la retrouvera le lendemain au temps fort de la création. Si elle a disparu, elle reviendra peut-être une autre nuit. La pensée magique fait surgir les arabesques spontanées, lesquelles deviendront métal ou roche transformés et enfin sculptures sans bavures. Pour reprendre le mot d’André Breton, le haut et le bas chez Patrick Gresse cessent de se contredire pour s’unir en une chorégraphie qui serait aussi une définition indéfinie de la vie.
Bronze ou marbre afin de conjurer le dérisoire de l’immortalité au service des formes venues de l’éphémère ou des métamorphoses incessantes de l’univers.
Denis Chollet